lundi 8 mars 2010

De l'appauvrissement de la langue à la fin de la pensée.

Une langue, c’est une histoire, un patrimoine, mais aussi un outil qui permet de se représenter le monde, afin de mieux l’appréhender. Mettre un nom sur une entité, c’est déjà la différencier d’une autre, et donc commencer à la comprendre. C’est encore l’expression de cette représentation du monde, par laquelle on communique avec nos semblables. La langue - ou le langage - et la pensée sont consubstantiels ; il est rare d’avoir un vocabulaire étendu et d’être un imbécile, et inversement. La langue est contingente : l’activité prolifique de l’homme est telle que les concepts (mathématiques, chimiques, informatiques...) et les découvertes abondent, entités sur lesquelles il faut bien mettre des noms... En outre, des mots apparaissent, disparaissent ou se transforment, selon l’usage qui en est fait. On ne peut guère reprocher à la langue d’évoluer, puisqu’elle est expression de la représentation du monde d’un peuple (ou d’un ensemble de peuples) à un moment donné, ce qui en fait un formidable outil d’analyse. C’est à une modeste analyse de l’évolution – on serait tenté de dire la gangrène – qui touche notre si belle langue française, que je vais me livrer ici.

Le français est une langue riche, précise et exigeante, qu’il plaît aux hérauts de la pensée unique de la simplifier, de l’abaisser continuellement, afin de servir leurs desseins. Orwell l’explique avec une inspiration géniale dans son 1984 : contrôler le langage d’un peuple, c’est réduire sa pensée, et l’en asservir d’autant mieux : « Le but du novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc[1], mais de rendre impossible tout autre mode de pensée ». Cette transformation regrettable de notre langue s’effectue aux profits de la droite libérale et la gauche bien pensante, qui y trouvent largement leur compte. Les libéraux espèrent sur le long terme disposer d’une masse d’individus décérébrés soumis à la société de consommation, alors que les bien-pensants s’assurent de ne plus être troublés dans l’exercice de leur droit de s’octroyer un supplément d’âme, tout en méprisant et exploitant allégrement le peuple au nom duquel ils disent parler.

Cette transformation de la langue française s’effectue de différentes manières. On peut tout d’abord déplorer l’introduction et l’usage de mots (ainsi que de prénoms !) anglo-saxons. L’anglais étant une langue plus conceptuelle que le français, ces vocables suppriment l’emploi des synonymes français, qui tombent parfois dans l’oubli.

Il faut ensuite s’indigner de l’utilitarisme avec lequel la langue est transmise à l’école ; on ne recherche plus l’excellence dans la maîtrise du français, mais simplement des « notions indispensables », véhiculées par des procédés imbéciles (méthode globale), qui rendent les français de plus en plus incultes par l’abaissement de leur niveau de langage. Comment peut-on décemment envoyer en classe de sixième (voire pire !) un enfant qui ne sait ni lire ni écrire ? Aux adeptes du nivellement de l’école – et donc de la pensée ! - par le bas, je rappelle que les colons qu’ils vilipendent tant, ont appris aux autochtones le français le plus basique qui soit, afin qu’ils puissent travailler en bonne intelligence avec eux, mais rien de plus (même si de nombreuses missions, notamment religieuses se sont attachées à une transmission toute autre du français, ce qui est moins su). Nos amis les bien-pensants feraient au final, d’excellents avocats de la colonisation ! Une langue ne peut ni ne doit être réduite à ce que l’on juge – arbitrairement – comme utile, elle forme un ensemble cohérent qu’il faut envisager et transmettre de la façon la plus large et complète qui soit.

Il faut enfin vitupérer contre le foisonnement des amalgames qui empoisonnent notre liberté d’expression, cette nouvelle censure gauchiste et insidieuse, véhiculée depuis la fin des années soixante, qui consiste à pendre un mot ou un concept, et à y associer à peu près tout, et n’importe quoi qui y ressemble de près ou de (très) loin. Le nationalisme devient racisme, la politique anti-immigratoire se transforme en xénophobie et nazisme, la monarchie la tyrannie etc.. L’apogée de la pensée unique pouvant sans doute se résumer à ce seul mot « facho », sorte de pot-pourri qui résume toutes les haines gauchistes les plus virulentes, et qui peut s’appliquer indifféremment à tous leurs ennemis, recouvrant un nombre énorme de significations, jusqu’à ne plus vouloir rien dire du tout.

Comment ne pas rire (jaune) en entendant une horde de petits bourgeois gauchistes manifester aux cris de « sarko, facho, le peuple aura ta peau », alors que le fascisme est un totalitarisme où le pouvoir est concentré entre les mains de l’Etat (citons Mussolini « Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État! ») qui n’admet aucune opposition ? Alors que Sarkozy n’a en France aucun pouvoir, soumis comme il l'est au marché mondialisé ? Ne seraient-ce pas ces petits bourgeois, dont les parents détiennent le capital, et qui censurent leurs adversaires, les vrais fascistes ?

Laurent.

N'hésitez pas à vous abonner à notre flux rss.

[1] Dans 1984 de Georges Orwell, régime politique fictif très proche du communisme.

10 commentaires:

Pascual a dit…

Article juste dans le fond, mais pour mon opinion, cette connaissance approfondit de la langue française est réservée et usée par une élite pour ce différencier du reste de la population tel un code. Je pense que le language ne s'apprend pas ou peu à l'école où se serait plus un travail sur l'expression.
Et que seul ceux issus d'un certains milieux et tous ceux qui souhaitent atteindre et présenter cet élitisme travaillent à acquerir les subtilités du language permettant d'user plus aisément de traits d'esprit.

Maintenant il est sur comme tu le dit que outre les usages démagogiques de la langue on a actuellement une régression nette, du fait d'une population française nouvelle dont nombre de parents parlent le français courant qui depuis une ou deux générations.
Il faut donc une recherche et un apprentissage plus culturel du français pour ces jeunes qui doivent faire preuve de curiosité,....

Sylvain a dit…

Cher Pascual,

Je vous remercie tout d’abord d’accepter un débat franc mais respectueux.

Je pense que (mais Laurent répondra peut-être différemment) vous commettez une erreur. C’est vouloir réduire l’importance de la langue qui fonde l’inégalité entre les élites et le reste. Car en voulant le nivellement par le bas, les élites imposent à leurs enfants des cours supplémentaires (et ils ont bien raison au fond) que ne peuvent s’offrir les couches sociales les plus basses.

On n’apprend plus la langue dans l’école française, mais ce n’était pas le cas avant et il faut impérativement y remédier.

Evidemment, tout le monde n’a pas les mêmes capacités, voire le même talent : nombreux sont ceux qui n’auront jamais un niveau de langage comparable aux grands auteurs. Mais le problème n’est pas là : il faut distinguer ceux qui écrivent de manière compliquée et alambiquée pour se « différencier » comme vous le dites (je serais tenté de prendre l’exemple de Bourdieu) ; mais il y a aussi ceux qui écrivent magnifiquement et qui partagent cela avec le peuple.
Une personne modeste, qui n’a pas des dons d’écriture, désire lire du Stendhal, du Balzac. Il n’apprécie bien évidemment pas qu’un Bourdieu ou autre universitaire écrivent afin d’ostraciser.
Il ne faut donc pas critiquer les plumes : on a besoin d’eux, car notre culture vit grâce à eux. Cependant, il faut bien évidemment pointer ces gens médiocres que vous dénoncez.

Sylvain a dit…

A mon tour :

Laurent, je pense que tu tombes dans l'excès habituel que nous commettons, à savoir la généralisation des libéraux. Comme tu le sais, Le Pen a une part de libéralisme qui me semble légitime. Pourtant, je suis sûr que tu ne le vises pas dans ton article.

De même pour les colons : bien que tu précises à juste titre qu'il y avait des missions moins "matérialistes", il me semble que la formulation que tu utilises reste trop généralisante. En effet, des types comme Ferry, idéal-type du penseur favorable à la colonisation, bien que je ne les porte pas, loin de là, dans mon coeur, n'étaient pas, pour beaucoup du moins, des colonisateurs purement utilitaristes. Certes, de nombreux capitalistes ont profité de la brèche, et je ne dis pas qu'ils étaient absents.
Cependant, je pense que cette remise au point était nécessaire.
Qu'en penses-tu ?

Amicalement.

PS : tu noteras que cet avis porte sur des données périphériques de ton article. Bien évidemment, je suis entièrement d'accord sur le fond de ton article; mais comme promis, je viens te faire un peu chier !

Pascual a dit…

Bonsoir,

Excusez moi cher Sylvain de revenir à la charge. L'idée où tendait mes propos et la suivante (car je crains de m'être fait mal comprendre).
En fait, je ne parle pas en terme de compétence, ni de talent ce qui correspond pour moi à une vision libérale de la chose
Sylain a di:
Evidemment, tout le monde n’a pas les mêmes capacités, voire le même talent : nombreux sont ceux qui n’auront jamais un niveau de langage comparable aux grands auteurs.

Ma remarque portait plus sur l'implication à parler le français, car il s'agit d'en avoir l'interet (il faut savoir que la culture est de nos jours le loisir le moins cher pour les jeunes)
Et pour ce qui est de l'école, elle est surtout censée nous donner des outils (grammaire conjugaison, orthographe) encore bien sur faut-il parler le français en intégrant le cours préparatoire.
Je pense que l'on attend trop de l'école et qu'elle se prend au jeu et prétend alors nous dire ce qu'il faut penser (former de bons citoyens).
Pour sur il faut q'elle reste le moyen de l'égalisation des chances mais elle nous donne les régles correcte du français et non un apprentissage de la langue qui se transmet par l'entourage à l'oral.
Donc clairement pour moi la transmission de la langue ne se fait pas à l'école mais prémièrement par l'entourage d'où le rôle plus imposant de la télé.... :µ(
Serait-ce donc un problème d'autorité dans l'éducation?? Car je ne sais comment vous souhaitez y remedier comme vous le dite.

Sinon tel le montre Laurent, sur qu'on brade le français, à l'exemple notre chère Pecresse qui à d'ailleurs reçut le Prix de la Carpette anglaise 2008 et qui file de l'anglais à tout vas dans les facs.

Amicalement

Sylvain a dit…

"Je pense que l'on attend trop de l'école et qu'elle se prend au jeu et prétend alors nous dire ce qu'il faut penser (former de bons citoyens).
Pour sur il faut q'elle reste le moyen de l'égalisation des chances mais elle nous donne les régles correcte du français et non un apprentissage de la langue qui se transmet par l'entourage à l'oral."

Nous sommes d'accord alors. Après, la différence entre "donner les règles de français" et "l'apprentissage de la langue", je vois pas exactement ?
Mais je suis d'accord sur le rôle trop grand que l'on donne à l'école, lié à l'abandon des parents en ce qui concerne l'éducation.

Laurent a dit…

Bienvenue Pascual, et merci de participer à notre blog.

Je pense que Sylvain a très bien exprimé les réponses que j’aurais pu faire à tes commentaires et, sauf à le paraphraser, je ne m’étendrai pas sur le sujet.

Sylvain,

Premièrement, comme tu le sais déjà, j’utilise le mot « libéral » comme un raccourci, un terme générique, comme le serait par exemple chez toi (comme chez moi d’ailleurs) le terme « bien-pensant » qui regroupe en fait, des réalités diverses. Il est vrai que j’aurai pu assortir ce terme d’un adjectif plus restrictif, (et obtenir quelque chose type « libéraux individualistes »). Je tâcherai d’y penser la prochaine fois.

Deuxièmement, et là encore je pense que tu le sais mais que tu chipotes (pitoyable !), je n’ai évidemment pas une vision ignoble de la colonisation, au contraire, j’en connais et en apprécie les effets positifs. Ce petit point abordé dans mon article constitue surtout une petite pique aux bien-pensants, plus qu’un apport doctrinal à prendre au sérieux. En ce qui concerne la personne de Ferry, il me semble qu’il était lui, purement utilitariste. Mais doit-on le lui reprocher ? Etre utilitariste n’est pas forcément un défaut.

Mes excuses pour cette réponse expéditive.

Sylvain a dit…

Sur ton premièrement, comme je te l'ai dit, c'est un vice commun, mais il me semble qu'il fallait le signaler ici (comme sûrement à d'autres nombreux endroits, notamment dans mes articles). Parce qu'ici, il semble que tu sois anti-libéral inconditionnel et absolu en fait, ce qui n'est exactement le cas.

Je sais que tu n'as pas une vision ignoble de la colonisation et je sais très bien que c'était une petite pique : je me suis mal exprimé. C'est ton article qui m'a semblé pas refléter ce que tu pensais exactement.
Pour Ferry, je ne suis pas d'accord (encore qu'on puisse combiner), mais il est difficile de sonder les coeurs de toute manière, c'est un débat sans fin. (faudrait déjà qu'on lise plusieurs biographies à son sujet avant de parler xD)

Sylvain a dit…

Et l'utilitarisme chez les hommes politiques, quand ça dessert l'intérêt général, c'est critiquable (euphémisme) tout de même. Après, je parle d'un point de vue externe et "idéaliste" (dans le sens où l'on espère que la politique vise le Bon).

Laurent a dit…

Quand ça le dessert en effet ! Mais ça peut ne pas être le cas.

Sylvain a dit…

Bien entendu ! (même chose qu'on nous rabâche en droit sur intérêts particuliers / intérêt général)