dimanche 16 mai 2010

Où est la subversion ? La vogue révélatrice de l'anarchisme.

À l'heure où l'anarchisme, après la désillusion communiste, est en vogue, comme en témoignent les pacifistes arborant le signe anarchiste; au moment où le capitalisme mondialisé ne cache pas ses affinités, si ce n'est sa collusion la plus complète, avec cette philosophie (Che Guevara, John Lennon, et autres logos anarchistes flanqués sur des accessoires de mode...); alors que l'on nous vante de parts et autres un monde sans frontières, une planète de « citoyens du monde », on peut, définitivement, sans prendre de risques, affirmer que l'anarchisme n'est plus la subversion.

Fiers de leurs nouvelles valeurs anarchisantes – en vérité des « non-valeurs » comme l'affirme le Général Bigeard –, les jeunes « rebelles » se vantent de retourner l'ordre établi. Subversion qu'on nous dit. Des siècles de révoltes et de luttes entend-on. Les nouveaux Résistants. Les Vrais; car de Gaulle, c'est Hitler; et les CRS, ce sont des SS.

Enfin, je vais m'arrêter là. Moi et Laurent avons déjà à maintes reprises raillé ces jeunes en quête de supplément d'âme qui revivent leur Germinal à eux, mais sans les ouvriers. Venons-en donc à la théorie :

Dans la philosophie anarcho-communiste, notamment chez Kropotkine, il y a l'idée que les relations humaines seraient, en l'absence d'autorités (figure paternelle, morale classique, État), harmonieuses. Les anarchistes estiment qu'une société sans autorité verra des individus individualistes mais qui seront bons envers les autres. D'une certaine manière, l'utilitarisme individuel est compatible avec aider son prochain : c'est l'homme est un loup solidaire estime le philosophe russe.

D'aucuns estiment à raison cette pensée naïve et restent dans la perspective hobbesienne (« l'Homme est un loup pour l'Homme »). De nombreux théoriciens de l'anarchie ne renient pas cet état de fait, mais prennent un point de vue différent : si l'Homme, actuellement, est un « loup », c'est parce qu'il a été corrompu par les efforts constants de l'Église et de l'État. Partant, certains le disent à demi-mot, la régénerescence de l'humanité, afin de créer un homme nouveau, serait la clé ultime; d'où la vogue également de Rousseau et de son homme naturel -bien qu'il ne prétend pas y revenir.

Deux voies se dessinent si l'on se prétend anarchiste : dans un premier cas, on prône la destruction des institutions étatiques et cléricales, sans toutefois toucher aux hommes (sauf à la rigueur, les tenants de ces deux institutions – ce qui laisse songeur quant à savoir qui l'est). Dans cette hypothèse, le Capital, pourtant ennemi de l'anarchiste, serait le grand gagnant. Il est simple d'imaginer un monde déréglé avec les hommes actuellement présents sur Terre : il est évident que de nombreux profiteurs et « loups » se frotteront les mains. Bref, c'est la loi du plus fort (physiquement, militairement, économiquement etc.) qui règnera.

L'autre solution est plus difficile à envisager. Un homme nouveau, que l'on pourrait rapprocher de l'homme sauvage (vanté par Diderot voire Rousseau) est difficilement imaginable. Il est difficile de répondre à la croyance selon laquelle l'homme nouveau vivrait harmonieusement et en paix. Néanmoins, ce qui me paraît sûr, c'est qu'atteindre un tel objectif ne peut se faire à moins d'un bain de sang tel que Robespierre ou Pol Pot (idéalistes d'une égalité anarchiste) ont commis. Dès lors, soutenir la régéneresence de l'humanité, c'est soutenir un génocide selon un idéal que l'on a jamais constaté empiriquement (cela expliquerait pourquoi Rousseau ne prônait pas un tel retour). C'est « la fin sublime qui excuse les moyens horribles » comme expliquait Raymond Aron. Et, en fin de compte, c'est une pensée très proche du nazisme (la différence réside dans le fait que le nazisme prône le bien allemand tandis que l'anarcho-communisme espère le bien humain).

Nos rebelles devraient au moins essayer de comprendre... ce qu'ils veulent ! Le fait que Sartre (soutenu par ses compagnons) décrétât « tout anti-communiste est un chien » et qu'il supportât successivement Staline, Ho Chî Mînh puis Pol pot, devrait pourtant faire méditer ces petits jeunes imbus d'eux-mêmes.

Bref, au risque de décevoir les jeunes qui se baladent avec le tee-shirt du Ché, qui rêvent sur un album de John Lennon, qui soutiennent Besançenot, qui trouvent sympathique Cohn-Bendit, il faudra bien qu'ils le reconnaissent : ils constituent soit ces fameux « idiots utiles » du capitalisme, soit des Che Guevera prêts à égorger femmes et enfants pour parvenir à leur fin; car c'est bien cela, le révolutionnaire argentin.

Ils pourront bien nous traiter de fachos, la réalité est, malheureusement pour eux, implacable.

Sylvain.

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9 commentaires:

Jérôme a dit…

Comme tu le notes fort justement, cette mode coupable du pseudo-anarchisme est consubstantielle au jeunisme. Cependant il me semble que tu fais une confusion entre anarchisme et récupération marchande de l'anarchisme (qui est le fait des trotskistes); je doute que Proudhon et Bakounine, qui pourtant ne m'inspirent guère de sympathie, approuveraient cette frange de naïfs, au contraire. Je crois aussi que l'anarchisme est une exigeance morale innapliquable à l'échelle public, nationale. Il a tout de fois le mérite d'exister, rappelant que le bien commun reste le but ultime, au delà de l'utopie.
Tout le monde reste libre de créer sa propre "ashram".
Pour en revenir à Robespierre, plus j'y repense, plus je me dis que 20000 guillotinés sur toute la France, est ce si énorme que cela? Je suis sur qu'aujourd'hui en France, au moins le double de ce chiffre sordide mériterait un sort presque équivalent, comme la prison(je veux parler des gens qui, concrètement, politiquement, par leur manque de conscience et de morale, oeuvrent pour le demembrement de la France et l'accroissement des inégalités sociales...l'oligarchie mondialiste en somme). Quant à l'image du Che d'après moi elle est justement le symbole meme de cette récupération des idéaux de la gauche (originelle) par les mondialistes, et qui l'ont totalement vidée de de son contenu concret, n'en reste que le signe, effectivement réduit à la marque d'une recherche de supplément d'ame... je pense qu'il est possible d'amener ces types à la raison (en leur montrer des videos éloquentes, des documentaires sur dailymotion, par exemple).

A quand des efigies de Thomas Sankara sur les sacs des gauchistes?

Sylvain a dit…

Je remercie ton commentaire, extrêmement pertinent, ce qui change de beaucoup de remarques ici !

Je suis entièrement d'accord avec ce que tu dis; je me suis assez mal pris à ce niveau, mais ce que je voulais dire, c'est que ces jeunes, justement ne connaissent même pas les fondements de l'anarchisme; et j'en profitais également pour aller de ma critique sur l'anarchisme (du point de vue théorique).

J'aurais dû être effectivement plus clair, et je te remercie de le signaler.

Sylvain a dit…

Concernant Robespierre, c'est vrai que c'est un débat historique assez intéressant. Mais je pense qu'il faut reconnaître que le chemin qu'il prenait commençait à devenir extrêmement dangereux, et ce n'est pas Chateaubriand qui me contredira !

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je rejoins le commentaire de Jérome : il ne faut pas mettre les pseudo-anarchistes que sont ces « idiots utiles du capitalisme » et qui s’étiquettent « anarchistes » sans vraiment en connaître la pensée dans le même panier que les anarchistes (mais tu as rectifié donc inutile de s’attarder là-dessus).

Concernant la révolution anarchiste, je ne crois pas que tu la décrives comme les anarchistes l’entendent aujourd’hui. Les hommes ne deviennent pas bons suite à un changement radical de système. On n’efface pas par une révolution un siècle de corruption capitaliste imprégné la mémoire collective et les mœurs. Il faudrait du temps pour « ré-éduquer » la société. La révolution progressive est une alternative plus réaliste : démanteler progressivement les institutions illégitimes pour les remplacer par des institutions et un système éducatif favorisant la raison, la réflexion moral et éthique et au final l’émancipation humaine.
C’est plutôt sous cet angle que je vois une révolution réaliste et surtout efficace.

Je découvre ton blog par hasard. Il y a l’air d’avoir des choses intéressantes. Je repasserai probablement à l’occasion.

Cordialement,

Poulpeman (sceptique et anarchiste)

Sylvain a dit…

Tout d'abord, je te remercie d'apporter un avis argumenté, poli et donc forcément intéressant.

Je t'avoue que lorsque j'ai rédigé cet article, je m'étais dis "ai-je bien tout vérifié ? Me suis-je assez renseigné sur la philosophie anarchiste ?". Bien entendu, j'avais fait des recherches. Mais ton propos me fait rendre compte que j'aurai sûrement dû les approfondir (en cela, je te remercie sincèrement).

En effet, je t'avoue que j'ignorais cette branche "réformiste" de la pensée anarchiste. Cette "branche" me semble bienvenue.

Seulement, j'aimerais te poser une question :
en quoi alors te distingues-tu de la pensée socialiste de Jaurès ? N'avez-vous pas tous le même but, à savoir la société sans classes ? Il me semblait que la seule différence résidait dans les moyens employés. Est-ce seulement par tradition subversive que tu te revendiques anarchiste ?

Je te remercie encore une fois, et il me ferait plaisir de voir tes interventions sur ce blog.

A bientôt.

Sylvain.

Anonyme a dit…

Bonjour Sylvain,

L'anarchisme ajoute aux valeurs socialistes (façon Jaurès ou autre) deux principes fondamentaux : l'absence d'Etat (ce qui implique l'auto-gestion) et l'abolition de la propriété.

Certains but de l'anarchisme sont communs avec ceux du socialisme : absence de classes sociales, abolition de la propriété des moyens de production, répartition équitable des produits de la société, etc...

L'anarchisme défend en plus l'auto-gestion en se basant sur le constat que la présence d'un Etat conduit inévitablement à des privilèges, des disparités sociales, de l'autorité illégitime (une minorité qui prend des décisions pour la majorité). De la même façon, la propriété peut aboutir à des formes de domination : ceux qui possèdent plus peuvent contrôler ceux qui possèdent moins.
Ce sont ces différences qui font que je me revendique de l'anarchisme plutôt que du socialisme.

Cette vision de la société est difficilement concevable de nos jours. Elle était bien plus réaliste fin 19ème - début 20ème lorsque les mouvements socialistes et anarchistes étaient à leur apogée. L'engagement mondial dans la voie du capitalisme a rendu les idéaux socialistes et anarchistes de moins en moins accessibles. C'est pourquoi je pense qu'une transition progressive et préférable à une révolution brutale. Mais c'est un point de vue qui n'est pas partagé par la majorité des anarchistes.

Au plaisir de te lire.

Cordialement,

Poulpeman

Sylvain a dit…

Bonjour !

Je t'avoue que ce que tu me dis ne correspond pas à ce que j'avais lu.

Un exemple simple : on peut lire dans dans la motion de 1905 du SFIO que "le parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange, c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste ou communiste". Cela ne revient-il pas à abolir la propriété et l'Etat, si l'on suit Marx ?

D'après ce que j'ai lu de Winock, si le but officiel n'a pas changé, les moyens ont été considérablement modifiés. Ainsi Jaurès a été le premier à dire qu'il fallait pour le moment accepter en quelque sorte l'Etat et en ce sens, soutenir les républicains et l'école laïque. Ainsi, il est évident qu'une assimilation entre les socialistes et républicains (favorables à l'Etat et à la propriété) a pu se faire. Et j'ai l'impression que tu l'as également faite.

Cependant, j'insiste sur le fait que le projet socialiste a originellement le même projet que les anarchistes; les moyens différaient déjà et cela a entraîné, chez les socialistes (malgré eux peut-être), une sorte de "trahison", qui se remarque très clairement chez les socialistes contemporains; cette trahison, a de fait entraîné une mauvaise compréhension du projet socialiste originel. Et pour préciser mon dernier propos : en quoi ton anarchisme d'aujourd'hui diffère du socialisme originel ?

Cordialement,

Sylvain.

Anonyme a dit…

Bonsoir,

Tu dis :
"Je t'avoue que ce que tu me dis ne correspond pas à ce que j'avais lu."

Je parlais de la conception moderne du socialisme. Mais vu que tu parles du socialisme originel, alors en effet mes remarques ne sont pas aussi pertinentes.
My bad.

"Cela ne revient-il pas à abolir la propriété et l'Etat, si l'on suit Marx ?"

Si tout à fait. Mais tous les mouvements socialistes ne partageaient pas ce point de vue : certains considéraient l'Etat comme un "mal nécessaire" à l'organisation de la société. La question de la propriété (hors moyens de production) n'est pas non plus toujours homogène dans le socialisme.

"Ainsi, il est évident qu'une assimilation entre les socialistes et républicains (favorables à l'Etat et à la propriété) a pu se faire. Et j'ai l'impression que tu l'as également faite."

En effet, j'ai fait l'amalgame (en ce qui concerne l'Etat). Je vais mettre ça sur le dos de nos socialistes contemporains qui ont perverti la définition du socialisme : )

"Et pour préciser mon dernier propos : en quoi ton anarchisme d'aujourd'hui diffère du socialisme originel ?"

Le socialisme originel est proche de l'anarchisme (et aussi du communisme). D'ailleurs je ne vois, personnellement, pas de différence entre certains mouvements socialistes (comme le socialisme utopique) et l'anarchisme. Cependant, je préfère l'anarchisme car il a l'avantage d'être beaucoup plus clair sur certaines notions, dont l'Etat et la propriété individuelle. Ceci dit je ne suis pas un spécialiste du socialisme et je peux me planter.


Cordialement,

Poulpeman

Sylvain a dit…

Eh bien, je pense comme nous sommes d'accord.

Je comprends parfaitement que tu aies pu me mal comprendre, et j'aurai peut-être dû mieux expliquer la première fois. Nos socialistes d'aujourd'hui induisent largement en erreur !

Cordialement,

Sylvain.