L'intervention de Viviane Reding nous a récemment rappelé une vérité terrible : la Commission, « gouvernement de l'Europe » selon les fédéralistes, n'a que faire des États... des Nations et des peuples.
Mais il est une autre instance fédéraliste, largement plus méconnue du public, qui pourtant exerce, quoique plus discrètement, un pouvoir non négligeable. Je pense à la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), devenue la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) depuis l'entrée en vigueur du funeste Traité de Lisbonne pour mieux signaler qu'elle juge au-dessus des États... et contre eux.
Son action est d'autant plus méconnue que la complexité du droit communautaire ne rend pas son rôle plus lisible... pour le plus grand plaisir de nos dirigeants. Quand Nicolas Sarkozy affiche une résistance de façade à Mme Reding, il feint d'oublier la signature du Traité de Lisbonne qui attribua valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne grâce à laquelle la commissaire européenne a pu émettre ses menaces ; lorsque le Président de la République prétend sermonner la Commission Européenne, il ne nous dit pas que la CJUE aura désormais des pouvoirs considérables grâce à la valeur contraignante de cette charte.
En effet, la CJUE, lorsqu'elle était CJCE, avait deux traits qui caractérisaient sa jurisprudence. Je vais essayer de simplifier, tout en étant juste bien entendu.
1) Un dogmatisme néo-libéral à l'encontre de la souveraineté des pays
Premièrement, la CJUE faisait preuve d'un dogmatisme néo-libéral avéré, qui, main dans la main avec la Commission, visait à détricoter les services publics dits « à la française ». Ainsi, l'article 86-2 du traité CE, qui prévoyait que les services marchands mais ayant des obligations de service public (appelés « services d'intérêt économique général ») tels qu'EDF par exemple, n'a été appliqué concrètement que très tardivement (1989 avec l'arrêt dit « Silverline » puis surtout l'arrêt « Corbeau » de 1993).
Dans les années 90, si la Cour a su se tempérer sous la pression des États, sa jurisprudence continue à avoir des effets très puissants. Aussi les contraintes qu'elle impose amènent-elles les États à sociétiser puis à privatiser les entreprises publiques et à créer toujours plus d'autorités de régulation (en raison de l'arrêt CJCE, 1985, dit « British Telecom ») sans aucune légitimité politique
On notera que ce choix idéologique, qui n'a rien à voir avec le juridique, a même été regretté par des professeurs réputés pour leur fédéralisme.
Si l'on peut discuter de l'intérêt de ces changements, on ne peut qu'être consterné par le fait que les choix ne se font plus par les hommes politiques que l'on élit, mais par des instances lointaines, technocratiques, et sans aucune légitimité politique. On comprendra dès lors le choix de l'abstention par de nombreux de nos compatriotes.
2) L'interprétation extensive des textes par la CJUE au détriment de la justice rendue « au nom du peuple français »
La CJCE avait depuis longtemps fait pression sur les juridictions internes pour qu'elles intègrent le droit communautaire dans leur ordre juridique (1964, arrêt « Costa c/ Enel »). La résistance du Conseil d'État s'est terminée depuis l'arrêt qu'il a rendu en 1989 (arrêt « Nicolo ») : désormais, le droit communautaire prévaut sur le droit interne français, même lorsque la loi a été votée postérieurement aux traités européens. Regrettable décision par une instance française qui s'ajoute aux différentes trahisons politiques. Cette décision est en effet d'autant plus déplorable que la CJUE opère une interprétation dite « maximaliste » des dispositions sur lesquelles elle fonde ses décisions.
À la crainte légitime du « gouvernement des juges » déjà exprimée par les révolutionnaires s'ajoute le risque du « gouvernement des juges européens » qui eux, de surcroît, ne rendent pas leur jugement « au nom du peuple français ». La France serait-elle gouvernée ailleurs ?
Si cette tendance à l'interprétation extensive est propre à tout organe juridictionnel, rares sont les voix, parmi nos dirigeants, qui s'élevèrent pour dénoncer cette scandaleuse prise de pouvoir des juges européens. On cherchera vainement à l'UMP, au PS, au Modem ou chez les Verts, une remise en question claire et nette de la CJUE.
Pire : en attribuant une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, le traité de Lisbonne, applaudi par ces partis, a donné un formidable outil à la CJUE pour accroître encore plus sa puissance. En effet, cette charte proclame des principes extrêmement généraux, susceptibles d'interprétations très diverses. Avec ces dispositions, le CJUE pourra fonder presque toutes les décisions inimaginables, comme le fait parfois la Cour Européenne des Droits de l'Homme (la CEDH) sans que celle-ci ne dispose, pour cela, de l'instrument très puissant qu'est la Commission.
Conclusion :
Il n'est pas inutile de rappeler que la CJUE a été créée pour entreprendre « l'intégration par le droit » et qu'elle a pour but de faire de l'Union Européenne une réelle fédération. Ce but avoué, remarqué par tous les professeurs de droit quels qu'ils soient, doit nous rappeler que l'on ne doit pas concentrer notre attention seulement sur la Commission. L'action pernicieuse de la CJUE est aussi redoutable que le lobbying actif de la Commission.
Le passé nous a montré que la CJUE ne se privera pas de ses nouveaux outils. À l'avenir, nous ne manquerons pas de signaler les nouvelles dérives qui sont, malheureusement, inéluctables.
La CJUE et la Commission s'emploient à détruire les peuples, mais ces passages en force doivent cesser : aussi est-il indispensable et salutaire d'arrêter, selon l'expression de Nicolas Dupont-Aignan, ce « viol des peuples » permanent.
Sylvain.
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